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La transmission de l’information en temps de crise — le message

Samuel Maugard Consultant en marketing et communication

« Trop d’informations tue l’information. »

Noël Mamère/La dictature de l’audimat

Aujourd’hui, nous entendons souvent parler de fake news, (désinformation) dans la société civile autant que dans les entreprises. Les outils facilitant la communication se multiplient, mais celle-ci n’est pas pour autant plus efficace. Nous n’allons plus vers l’information : elle vient à nous insidieusement, captée par plusieurs de nos sens, propulsée au moyen de médiums d’information, comme les podcasts, les vidéos, les articles.

Comment en sommes-nous arrivés là ?

L’utilisation massive des réseaux sociaux, la multiplication des sources d’information indépendantes et la facilité de l’accès à l’information ont créé cette information présente en quantité industrielle. Mais l’envers de la médaille a été l’apparition de beaucoup de bruit et de parasitage entre l’interlocuteur et le destinataire du message.

La crise de la COVID-19 a amplifié le bruit même en entreprise

Tout leader, dans une communication de crise comme nous le vivons actuellement, doit apporter des réponses. Elles doivent être claires et précises, et quand il n’a pas l’information, le leader ne peut pas interpréter ou extrapoler, au risque de provoquer de la désinformation (influencer des opinions sur des bases informatives partiellement ou complètement fausses). En effet, répondre que nous ne connaissons pas la réponse est plus acceptable que l’improvisation et le risque de fournir une mauvaise réponse. Et quand il n’y a pas de communication claire pendant une crise, c’est aussi une forme de communication…

La théorie du message

Le message, c’est une information à faire circuler. Dominique Wolton[1], a dit que la « croissance de l’information et sa multiplication, comme l’hétérogénéité des récepteurs rendent finalement visible cette dissociation entre information et communication [2]» pour en venir au fait que nous avons longtemps pensé que l’information créait la communication.

Claude Shannon [3]a schématisé l’information, pour révéler qu’elle est un processus en plusieurs étapes, comme nous le voyons dans le tableau suivant :

Tableau 1 : le schéma de Shannon. Source : The mathematical theory of communication

Ainsi, nous constatons facilement à partir de quelle étape il nous faut nous pencher pour bien assimiler le message. L’émetteur et le récepteur doivent avoir les mêmes grilles de lecture et il faut faire en sorte que le bruit, qui est nuisible au message, soit réduit un maximum. Les réseaux sociaux ou les médias traditionnels sont les canaux, c’est à cet endroit que le bruit sera un facteur décisif dans la bonne captation du message.

La boucle de rétroaction

Harold Dwight Laswell [4]a modélisé cette communication sous la forme d’une question : Who says What to Whom in Which channel with What effect [5].

Quant à Norbert Wiener[6], il apporte quelques éléments nouveaux sur cette théorie, avec le système de feedback[7]. L’action d’un élément sur un autre va entraîner une réponse de ce dernier vers le premier. C’est ce que l’auteur a appelé la boucle de rétroaction.

De peur de tomber dans l’oubli, la plupart du temps, pour s’ancrer véritablement dans le temps, les messages doivent s’inscrire dans la durée.

C’est la redondance du message qui permettra la mémorisation de ce dernier. C’est ce qui explique qu’une entreprise doit bien choisir sa ligne éditoriale, car c’est un engagement sur la durée et cela influence la manière dont l’entreprise sera perçue. Le message doit être clair.

Ainsi, nous distinguons plusieurs types de feedback :

  • Le feedback négatif : la réaction du récepteur fera en sorte que l’émetteur corrige son message.
  • Le feedback positif : la réaction du récepteur va renforcer l’action de l’émetteur.

Les différents types de bruit

Warren Weaver [8]va introduire au schéma de Claude Shannon, deux nouveaux éléments : le bruit sémantique[9] et le récepteur sémantique.

  • Le bruit sémantique peut entraîner des distorsions de signification ou des phénomènes de perturbations (langage, culture, signification différente des mots).
  • Le récepteur sémantique, lui, va se trouver entre le bruit technique et la cible du message, le dernier maillon de la chaîne. Ce récepteur va soumettre le message à un deuxième décodage pour attribuer un sens au mot constitué et l’adapter à la sémantique du destinataire.

Ainsi on retrouve davantage d’intermédiaires pour faire passer le message et celui-ci traverse beaucoup plus difficilement le processus sans changement notable.

Tableau 2 : le schéma de Weaver. Source : Théorie de la communication et politiques

Paul Lazarsfled et Elihu Katz, deux sociologues américains, parlent d’une communication à double étage. Devant le nombre important de supports de communication, le message est biaisé et s’estompe jusqu’à devenir inaudible lorsque rendu à sa cible. Ainsi, le message passera par un deuxième canal plus près de la cible, qui sera un relais du premier en tant que guide d’opinion. George Lewi dit qu’il y a « compréhension quand il y a correspondance entre le sens du message attribué par la source et celui attribué par l’audience ».[10]

L’information peut être addictive comme une drogue

Ainsi, la multiplication des supports d’information, le multiculturalisme, l’instantanéité de l’information crée une incompréhension et une distorsion du message initial.

En temps de crise comme nous le vivons actuellement, il est primordial de prendre le temps de vérifier les sources d’information, d’éviter la surexposition à l’information et de prendre du recul sur celle-ci. Parce que le besoin de recevoir de l’information peut rapidement devenir envahissant.


[1] Directeur de recherche au CNRS en sciences de la communication.

[2] WOLTON, Dominique (2004) Information et communication : dix chantiers scientifiques, culturels et politiques, paru dans Hermès. La revue, no 38, Les sciences de l’information et de la communication, pages 175 à 182.

[3] Ingénieur en génie électrique et mathématicien américain.

[4] Spécialiste américain de la communication de masse et de la science politique.

[5] LASWELL, Harold, Propaganda Technique in the World War,1927, Kegan Paul, Trench, Trubner & Co., Ltd, London, England, 256 pages.

[6] Mathématicien américain, théoricien et chercheur en mathématiques appliquées

[7] Cybernétique et société (1952, rééd. 1971), Union Générale d’Éditions, Collection 10/18 ; nouvelle traduction, 2014, Coll. Points,

[8] Scientifique américain, mathématicien et administrateur de la recherche

[9] Warren Weaver dans Marketing et Communication politique : pratiques et théorie.

[10] LACOEUILHE, Jérôme, Georges LEWI, Branding management : La marque, de l’idée à l’action, Pearson Education France, 2012.